Après la chute d'Assad en Syrie, Rindala, exilée syrienne en France et engagée pour la Révolution dès 2011, vit à distance une course contre la montre pour empêcher l'arrivée d'un nouveau régime autoritaire dans son pays.
Sa famille a subi le « système officieux de la terreur » d'Assad et s'est échappée de Syrie au compte-goutte. Rindala, Syrienne de 31 ans, a quitté son pays en 2012 et vit aujourd'hui en France. Face à la chute du régime qui a persécuté les siens, elle n'en revient toujours pas. « Ça fait 14 ans qu'on attendait ça, on a déjà vécu beaucoup de déception, témoigne-t-elle. J'ai du mal à le croire. C'est beaucoup de joie, d'euphorie ».
Rindala est l'une des cofondatrices de la Cantine syrienne, un collectif basé à Montreuil, à côté de Paris, et engagé pour la révolution syrienne. Aujourd'hui, depuis l'exil, noyée sous la masse d'information et la rapidité avec laquelle son pays se transforme, elle espère une auto-organisation populaire dans son pays tout juste sorti décennies de règnes de la famille Assad.
« Le pays ne doit pas tomber de nouveau dans le despotisme », insiste la jeune femme. La joie après la chute du régime n'éteint pas complètement son inquiétude face aux profil des rebelles qui ont pris Damas le 8 décembre, les rebelles d'HTS, un groupe islamiste lié à Al Qaida jusqu'en 2016. Elle craint leur tendance autoritaire.
Des conseils locaux
Mais, ajoute-t-elle, « les Syrien·nes ont une réaction allergique à n'importe quelle forme de dictature », assure-t-elle. Aujourd'hui, la réfugiée souhaite pouvoir rentrer à Damas « rien que pour ressentir la joie du retour ». Mais aussi pour participer à l'organisation d'une lutte populaire. Après des années à soutenir de loin son pays à travers l'aide humanitaire, Rindala et ses camarades de la Cantine syrienne souhaitent s'atteler à « recréer des liens politiques, partisans ».
Ses « camarades » présents en Syrie lui font remonter des initiatives d'auto-organisation. « Dans quelques villes syriennes, des comités populaires se montent pour nettoyer et reconstruire les quartiers, rapporte-t-elle. Des réunions de centaines de personnes sont tenues pour élire des "conseils locaux" à qui dédier la gestion quotidienne des villes. Des pourparlers sont entamés avec HTS pour garder un pouvoir citoyen. » La ferveur révolutionnaire de 2011 reprend peu à peu. Le slogan de l'époque, « Le peuple veut la chute du régime » a déjà été remplacé par certains « Le peuple veut la chute du prochain président ».
Pour Rindala, pas question de laisser al-Joulani, le chef d'HTS, imposer son hégémonie. « Il essaye de montrer quelque chose d'inclusif, de tolérant vis-à-vis des minorités. Mais il peut changer sa barbe, son nom, je n'ai pas trop d'espoir en lui », soupire-t-elle. Les Syrien·nes n'oublient pas les femmes réduites au silence à Idlib sous le pouvoir d'HTS, ni la répression meurtrière de combattants de l'Armée syrienne libre par les rebelles islamistes dans cette même ville. Les exilés craignent déjà les relations conciliantes du groupe à l'égard de pays étrangers. « Les rebelles ont déjà accepté le maintien des bases militaires russes, celles qui ont aidé Assad à bombarder le pays », déplore l'exilée.
Garder espoir
« Il n'y a pas d'ordre du jour pour le moment, mais les exilés veulent s'organiser pour centraliser les informations du terrain et tenter de rejoindre la Syrie », détaille Rindala. En Syrie, les révolutionnaires comptent prendre HTS au pied de la lettre et et les forcer à la démocratie. Le groupe islamiste a déjà mis en place une « ligne verte » pour permettre aux Syrien·nes de déposer plainte en cas d'abus.
Par exemple, si un agent d'HTS demande la confession des citoyens à un checkpoint, il est possible de le faire remonter au gouvernement de transition. « Ils ont dit qu'ils seraient inclusifs, on va leur faire respecter leur parole. De nombreux citoyens saturent déjà ces canaux de leurs besoins et des bavures d'HTS », explique Rindala.
Rindala invite aussi à retirer ses « lunettes occidentales » pour observer ce qui se joue aujourd'hui en Syrie. « Les Syriens ne s'auto-organisent pas parce qu'ils sont de gauche, mais parce que l'auto-organisation est normalisée dans certaines communautés », dit-elle. Le village de Soueida, par exemple, dans le sud de la Syrie, à majorité druze, est en grande partie auto-administré. La réfugiée rappelle aussi que la diversité des communautés syrienne rendra plus aussi facile qu'en Afghanistan la toute-puissance d'un pouvoir islamiste.
Conditions humanitaires désastreuses
Mais elle reste consciente que poursuivre la Révolution ne sera pas tâche aisée. « L'idée d'une construction par la voie populaire n'est majoritaire nulle part », se désole-t-elle. La ferveur anti-Assad qui alimentait jusqu'à lors les luttes populaires est retombée. Et les conditions humanitaires désastreuses, après 13 ans de guerre, empêchent l'organisation. « Un million de syriens sont encore dans les camps, l'accès à l'eau et aux infrastructures est encore compliqué », précise Rindala.
Retourner en Syrie est aussi très compliqué pour les réfugiés. En France, ceux qui n'ont pas la double nationalité s'exposent à la perte de leur droit d'asile en cas de retour sur le territoire syrien, même pour rendre visite à leur famille. « Même pour ceux qui y seraient prêts, aucun vol n'existe pour Damas, obtenir un visa pour les pays limitrophes est très compliqué pour les exilés, et nos papiers syriens ne sont plus valides, expose Rindala, consternée. Mais il faut garder espoir, pour mettre en place un processus démocratique sain. »
Photo : À Berlin, le 8 décembre/©Mathieu Baudier